Les Religions orientales dans le paganisme romain
Franz Cumont. — Les Religions orientales dans le paganisme romain, 4e éd. revue, illustrée et annotée. Un vol. in-8° carré de XVI et 339 pages. Paris, Librairie orientaliste Paul Geuthner, 1929.
L'ouvrage classique et magistral de notre eminent collaborateur paraît sous une forme nouvelle. Si le texte n'a subi que les retouches les plus indispensables, il s'est pourtant accru d'un appendice sur les mystères romains de Bacchus, culte à demi oriental. Les notes ont été entièrement remaniées et fort augmentées ; quelques-unes constituent de petites dissertations et c'est pourquoi il a fallu user duprocédé, peu commode pour le lecteur, qui consiste à reporter l'annotation à la fin du volume. Enfin, une illustration bien choisfe et d'une belle tenue apporte un important complément d'information. Un index vient faciliter la recherche de détail.
L'auteur a mieux que personne montré la puissance de propagation qui animait les cultes orientaux et les ont amenés à submerger l'Occident. Les objections qu'on lui a opposées ne tiennent plus devant les témoignages chaque jour plus nombreux.
Ce n'est d'ailleurs pas uniquement par le culte que se marque l'influence de l'Orient. Dans les institutions politiques cette action explique le changement que subit le gouvernement de l'Empire, d'Auguste à Dioclétien. Les sciences et les lettres sont de plus en plus entre les mains de personnalités originaires d'Asie Mineure, de Syrie ou d'Egypte.
Fécondée par l'hellénisme, l'Asie a construit des édifices que Rome a pu envier. « Les Césars ont été de grands bâtisseurs, mais souvent en se servant de mains étrangères. Le principal architecte de Trajan, constructeur fastueux, est un Syrien, Apollodore de Damas. » Les fouilles de Doura-Europos sur l'Euphrate ont prouvé, par la découverte d'une série de fresques dues à des indigènes, que la peinture gréco-syrienne se rattachait, d'une part, à l'art de l'ancien Orient et, de l'autre, à l'art chrétien. M. Gumont a montré que ce dernier a fait des emprunts directs à l'art païen de la Syrie.
Pour retracer le mouvement religieux venu d'Asie Mineure, d'Egypte, de Syrie et de Perse, les documents sont rares et dispersés. Chose curieuse, la littérature légère est celle qui nous a conservé le plus de détails sur les cultes exotiques. « Ju- vénal raille les mortifications des dévotes d'ïsis; Lucien, dans sa Nécromancie, parodie les purifications interminables des mages, et Apulée, dans les Métamorphoses, nous a retracé avec les ardeurs d'un néophyte et la recherche d'un rhéteur, les scènes d'une initiation isiaque... Le précieux traité : « Sur la déesse syrienne », où Lucien nous raconte une visite au temple d'Hiérapolis et rapporte les récits que lui ont faits les prêtres, n'a rien de pénétrant : il relate ce qu'a vu en passant un voyageur intelligent, amusé et ironique. »
Le traité de Plutarque sur Isis et Osiris doit être mis hors de pair surtout depuis les dernières découvertes à Byblos. Sans lui, les égyptologues seraient fort démunis pour organiser leurs textes. En présence de cette insuffisance des données fournies par les écrivains, M. Cumont montre l'importance de la documentation épigraphique et archéologique.
On n'a pas manqué d'expliquer la tune des cultes orientaux par les vices et les tares que stigmatisent les ironistes et les polémistes, qui n'en ont relevé que les manifestations secondaires et triviales. Un peu comme si, l'Ancien Testament ayant disparu, on appréciait le culte juif d'après les écrits et les plaisanteries des antisémites de l'antiquité. On aboutit alors à ce curieux jugement de Mommsen : « Les mythes religieux (de la Phénicie) sont informes, dépourvus de toute beauté, son culte excite les passions de la luxure et les instincts de la cruauté (d). »
Une étude approfondie de son sujet a empêché M. Gumont de souscrire à une pareille incompréhension ; même il n'hésite pas à affirmer que, si les mystères barbares ont possédé une telle force d'attraction, c'est qu'ils répondaient aux besoins profonds des âmes et qu'on leur reconnaissait une valeur supérieure à celle de l'ancien culte gréco-romain : « Ces religions (orientales) satisfaisaient davantage en premier lieu les sens et le sentiment, secondement l'intelligence, enfin et surtout la conscience (2). » En d'autres termes, les religions orientales possédaient une valeur intrinsèque supérieure.
Il faut d'ailleurs concevoir le grand mouvement religieux, qui aboutira au triomphe du christianisme, non comme une explosion soudaine de foi irraisonnée, mais comme l'aboutissement d'une série de vagues successives dont la plus ancienne, à nous connue, remonte au- troisième millénaire avant notre ère, lorsque les Sumériens étendirent leur suprématie sur toute l'Asie antérieure et y introduisirent, avec leur civilisation, les éléments de leur culte et de leurs mythes. Pour rester plus près de nous, avant la propagation des cultes orientaux dans le paganisme romain dont M. Gumont trace le tableau à la fois le plus exact et le plus fouillé, le monde grec s'était largement ouvert aux croyances orientales : il suffira de citer l'importance accordée aux Ado- nies et les textes récemment découverts par M. Valmin, en plein Péloponèse, concernant la déesse syrienne.
On voit ainsi l'importance de l'ouvrage du savant historien des religions. Il offre le double avantage de présenter au public lettré une mise au point d'une lecture aussi agréable que substantielle et, en même temps, de fournir au travailleur les éléments nécessaires à des recherches personnelles.
R. D.
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