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Liber

Mithriaca III. The Mithraeum at Marino

Maarten Jozef Vermaseren

This magnificently illustrated publication renews the Mithraic dossier on the basis of concrete data, with caution and penetration. Marino's discovery is disconcerting and rekindles the controversy about the order in which bands should be read.

La publication de ce Mithraeum, que l'auteur avait programmée en collaboration avec G.Jacopi, était attendue depuis près de vingt ans. La découverte occasionnée par les travaux d'agrandissement d'une cave remonte, en effet, à 1963. Il s'agit d'une crypte taillée dans le tuf dont la longueur (près de 30 m.) dépasse celle des Mithraea connus jusqu'alors. Le sanctuaire fut assorti ultérieurement d'un pronaos. Mais l'intérêt majeur tient aux peintures qui le décorent et plus particulièrement à celles de la niche cultuelle où la tauroc- tonie est flanquée de deux bandes verticales historiées qui déroulent le film de la Bible mithriaque, comme les bandes sculptées du groupe dit «réto-rhénan».

Vermaseren fait une description claire et précise de ce sanctuaire orienté au sud-ouest, où s'élevait au centre du «choeur» un autel dédié par Crescens, agent d'affaires (actor) d'un certain Alfius Seberus. Aucune trouvaille céramologique ou monétaire n'autorise la moindre induction chronologique sur la période d'occupation de la crypte. C'est donc du style des peintures qu'on est en droit de tirer quelques indices de datation, au moins par la comparaison du scheme compositionnel avec ceux de monuments connus et mieux définis. L'auteur rapproche naturellement le panneau peint du Mithraeum Barberini et surtout le relief de Nesce (Nersae), qui pourrait avoir été érigé le 25 juin 172 (p. 18). On reconnaît sur celui-ci une séquence de scènes latérales qui s'apparente d'assez près à celle de Marino, dont le Mithraeum n'aurait donc aucun rapport avec les soldats de la II Legio Parthica casernée à Albano beaucoup plus tard, sous Septime-Sévère. V. ne croit pas impossible que la peinture de Marino ait influencé le sculpteur de Nesce (p. 20), du moins en ce qui concerne la conception de base et la disposition des motifs. Les parallèles qu'il institue avec la peinture de Capoue ne paraissent pourtant pas décisifs. Il reconnaît d'ailleurs tout ce qui distingue stylistiquement de celle-ci les exemplaires de Marino et du M. Barberini.

De ce point de vue, l'analyse comparée de P. G. P. Meybom (p. 35-46) est pénétrante, même si ses datations n'emportent pas nécessairement la conviction, car des équipes approximativement contemporaines peuvent avoir une manière, une facture, un goût très différents sans illustrer pour autant les étapes d'une évolution linéaire et chiffrable en chronologie absolue ! Il y a moins d'ardeur, de présence vivante et vibrante sur le panneau du M. Barberini : est-ce pour autant l'indice de la sécurité d'un culte triomphant (à l'époque sévérienne) ? Les bandes peintes sont le type même de l'imagerie catéchétique et populaire qui ne requiert pas obligatoirement l'intervention d'artistes talentueux.

La découverte fait aussi rebondir le problème de l'origine des stèles à scènes multiples. V. me semble avoir tout à fait raison d'insister sur l'importance de Rome comme centre d'élaboration et de développement de ces compositions complexes. La perte des nombreuses peintures qui devaient décorer les Mithraea italiques fausse quelque peu notre perspective face aux reliefs mieux conservés du secteur réto-rhénan. Mais l'étude détaillée des sculptures de Koenigshoffen et de MackwiUer même me paraît devoir exclure l'hypothèse mésienne et balkanique de J.-J. Hatt. A l'origine de cette «école» régionale, il faut supposer l'existence d'une équipe formée en Italie (p. 23 ss., 30). L'influence de l'arc triomphal romaine à panneaux historiés sur les stèles à pilastres historiés est évidente (p. 31 ss.). Mais, outre l'arc de Bénévent, il faut tenir compte de l'arc de Néron et d'un arc de Trajan connus par les monnaies, voire de la Porte Noire de Besançon qui a l'avantage d'être contemporaine des premières stèles mithriaques de ce type.

Une part importante de cette utile et suggestive monographie est consacrée à l'interprétation religieuse de l'iconographie. L'auteur évoque avec un scepticisme justifié et autorisé (p. 46 ss.) les hypothèses relatives à l'orientation et à l'emplacement des motifs les uns par rapport aux autres, à leur répartition et au dualisme droite/gauche sur lequel on a beaucoup glosé. Il souligne en passant et très pertinemment les contradictions ou les difficultés qu'elles comportent (p. 49 ss.). Critiquant l'interprétation que R. Gordon a proposée des planètes figurées dans le «Mitreo delle Sette Sfere» à Ostie, il rappelle qu'il faut relativiser la valeur documentaire des sources littéraires (chrétiennes ou néoplatoniciennes) et les apprécier en fonction de l'information authentiquement mithriaque (archéologique ou épigraphique). Il insiste opportunément sur la disparité du public mithriaque, très inégalement cultivé. Les symboles n'étaient pas accessibles aux seuls philosophes ni «dissimulés derrière un lourd rideau de fer» (p. 58). Il ne faut pas rechercher des explications trop sophistiquées ni rigoureusement ésotériques. Mais V. a peut-être tort de rejeter celle que R. Beck donne de l'ordre des planètes dans le «Mitreo delle Sette Sfere». Du moins devrait-il expliciter son point de vue sur la relation possible de cet ordre avec l'histoire sacrée de Mithra dans sa «vie terrestre» (p. 60).

Je ne crois pas que les graffiti de Doura (p. 61) aient un rapport avec la citation que Porphyre fait d'Eubule (De antro Nymph., 6) : éxodos/ eisodos peuvent tout simplement indiquer aux fidèles l'entrée et la sortie à l'occasion de telle ou telle cérémonie. Il est vrai aussi que le sens et le déroulement d'une procession peuvent transcrire des intentions symboliques... En tout cas, V. n'est pas convaincu par le déchiffrement de signes astronomiques dans la tauroctonie (p. 65), et on le comprend !

Commentant plus spécialement les bandes peintes de la niche cultuelle, il en caractérise certains aspects notables, comme la vision d'un Jupiter terrassant les Géants du haut du ciel (et non pas au niveau du même sol, comme sur tant de reliefs), le profil globulaire du roc d'où émerge Mithra pétrogène, le fait aussi que Mithra chevauchant le taureau et Mithra taurophore (transitus dei) sont des images plutôt rares en Italie, fréquentes dans les pays danubiens. Mais — encore une fois — la précarité des panneaux peints qui ont souvent disparu n'autorise pas sur ce point des comparaisons statistiques et probantes.

Pour V., la représentation de Jupiter foudroyant les monstres anguipèdes ne dérive pas nécessairement du dualisme iranien. Certes, puisque les Grecs connaissaient le mythe de la victoire olympienne sur le désordre. Mais ne peut-on concevoir que ce mythe ait été retenu, emprunté à l'hellénisme pour correspondre à l'histoire d'Oromasdès repoussant l'assaut des forces arimaniennes ? Que le peintre de Marino ait figuré Jupiter très au-dessus des Géants, c'est la preuve qu'il voulait souligner la distance séparant le dieu céleste des ténèbres inférieures. L'image de Saturne au repos coïncide aussi avec un mythe grec (p. 70 ss.). Mithra serait le nouveau Saturne, né le 25 décembre, quand «le vieux Saturne disparaît annuellement» (p. 71), ce qui s'accorderait avec le calendrier religieux de Rome, puisque les Saturnales prennent fin le 23. Reste à savoir si, en réorganisant le culte solaire (avec la célébration du Natalis Solis Inviai), Aurélien a tenu compte du calendrier mithriaque ou si c'est le culte mithriaque qui s'est adapté au calendrier officiel...

Est-ce bien Saturne qui trône face à Mithra sur le relief de Pettau (CIMRM, 1579) ? ou bien Jupiter ? Il tient le sceptre et son type me paraît jovien plutôt que saturnien. V. rejette à juste titre l'identification de l'objet mystérieux que tient Mithra face à Sol agenouillé (scène de «soumission») avec une épaule de taureau. Il s'agirait d'un bonnet phrygien, et je l'ai cru moi-même quelque temps ; mais au vu de la peinture de Marino la chose ne me semble pas aller de soi. Je me demande s'il ne faut pas y reconnaître plutôt le sac du soldat, tel qu'on le voit sur la mosaïque ostienne de Felicissimus, dans la section correspondant au grade du Miles.

Pour finir, V. attire notre attention sur certaines peintures très dégradées du Mithraeum Barberini qui nous montreraient un myste tenant des fruits et une scène d'initiation comparable à celles de Capoue. Quant aux peintures de Caesarea Marítima, elles représenteraient des épisodes de la geste de Mithra plutôt que telles étapes du rituel mystérique. La question de savoir si les peintres et sculpteurs qui décoraient les cryptes étaient initiés ou non surgit en conclusion du livre. Les premiers devaient l'être, du fait même qu'ils y travaillaient plus ou moins longtemps. Ce n'est pas évident en ce qui concerne les sculpteurs, sauf si le relief cultuel était directement taillé dans le roc du spelaeum (p. 89).

Cette publication — magnifiquement illustrée (il faut en remercier aussi les Editions E. J. Brill) — renouvelle le dossier mithriaque sur la base de données concrètes, avec prudence et pénétration. Mais la découverte de Marino est dérangeante et relance les controverses sur l'ordre de lecture des bandes peintes ou sculptées. Il semble d'abord qu'on doive commencer par celle de gauche en descendant. Mais celle de droite s'achève pas le miracle de l'eau, si on la déchiffre également de haut en bas, et l'ordre inverse soulève encore des difficultés : déroutant !

Robert TURCAN

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