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Notitia

Du Mithraïsme à la Franc-maçonnerie. Une histoire des idées

Douze siècles séparent le déclin du Mithraïsme romain de l'aube de la Franc-maçonnerie. Douze siècles pendant lesquels les mystères de Mithra sont restés plus secrets que jamais.
Assemblée de francs-maçons réunis pour l'initiation d'un maître.

Assemblée de francs-maçons réunis pour l'initiation d'un maître.
Creative Commons

 
24 Jan 2023

Les premières mentions documentées du culte mithraïque en Europe occidentale, avec des allusions à des dieux aux noms orientaux, une iconographie abondante et sans ambiguïté, et des temples sombres et souterrains, apparaissent dès la fin du 1er siècle. La Thébaïde de Statius est le premier texte latin à nommer Mithra, qui « sous les rochers de l'antre des Perses, tord les cornes du taureau réticent. » La première représentation de Mithra sacrifiant le taureau sacré n'a été trouvée qu'au début du 2ème siècle, dans une sculpture qui lui est dédiée par un certain Alcimus, esclave d'un préfet de Trajan.

Comme il est bien connu, la persécution puis l'interdiction des cultes païens à partir du 4e siècle ont mis fin aux anciennes organisations cultuelles telles qu'elles étaient connues jusqu'alors, y compris le Mithraïsme. Dès lors, dans tout l'Empire, les temples dédiés à Mithra ont été fermés, leurs sculptures décapitées et les fresques du Dieu Invincible recouvertes de plâtre dans le meilleur des cas.

Mithras killing the bull, earliest representation known.
CIMRM


Cependant, un bon nombre d'initiés ont survécu à la persécution. Et avec eux, de manière plus ou moins orthodoxe, subsistèrent les mystères qui leur avaient été révélés, le souvenir des rituels qu'ils pratiquèrent, et les connaissances qu'ils purent accumuler. Un savoir qui continua à être transmis sottovoce à d'autres esprits curieux désireux de connaître qui était ce dieu solaire de la fraternité que leurs ancêtres adoraient avant que le christianisme ne s'impose comme seule vérité dans une Europe qui pénétrait dans les ténèbres du Moyen Âge.

La connaissance, ce matériau élastique et incassable

La connaissance, les idées, la sagesse et la culture en général sont une étrange affaire. Comme l'énergie — et c'est peut-être là le sujet — les idées ne naissent pas du néant et ne sont jamais complètement détruites, elles sont simplement transformées. Les idées, comme les dieux, peuvent changer de forme, voire de nom, perdre certains attributs, en gagner d'autres, monter ou descendre dans la hiérarchie des différentes écoles — ou panthéons — qu'elles habitent, mais elles finissent toujours par réapparaître d'une manière ou d'une autre quand on s'y attend le moins. Ce peut-être parce que les idées sont aussi éternelles que l'existence elle-même, ou parce qu'elles sont faites de la même essence que les archétypes de Jung, qui sont la matière première dont se nourrisse la mythologie aussi bien que les rêves les plus banals.

Mithra, le dieu invincible, est un bon exemple de l'indestructibilité des valeurs et des dieux qui les représentent. Son origine est si lointaine qu'elle se perd à l'aube de l'histoire. Le plus ancien document connu le mentionnant, au-delà des frontières de l'Empire romain, est une tablette d'argile du 14ème siècle avant J.-C. provenant de Boghaz-Kay, ancienne capitale de l'Empire hittite, dans l'actuelle Turquie. Dans ce document, Mithra, avec d'autres dieux indo-aryens, sert de garant d'un accord entre les Hittites et les Mitanni[1].

La franc-maçonnerie spéculative est née dans un contexte historique et géographique particulier qui imprègne profondément chacun de ses aspects formels, tout en dissimulant ses origines

En fait, le terme Mithra vient de l'hypostase proto-indo-aryenne *mitra, qui signifie contrat. Dans le sous-continent indien, Mithra est considéré comme le protecteur de la parole donnée, des réunions, qu'il préside, et par extension de l'honnêteté et de la fraternité. Même sens pour le Mithra d'Iran, où sa présence perdure malgré la réforme de Zarathoustra, qui tenta d'imposer un dieu unique au complexe panthéon mazdéen[2].

L'Ère du Taureau et celle de la Vraie Lumière

Le mythe central de Mithra, c'est-à-dire le sacrifice du taureau céleste — auquel participent un corbeau, un scorpion, un chien et un serpent —, qui permet la régénération de la nature, est connu depuis l'Antiquité comme un acte fondateur de la civilisation. Des mentions d'un bovidé sacré envoyé par les dieux dont le sacrifice sera fondamental pour la vie sur terre apparaissent dans des textes aussi anciens que L'Epopée de Gilgameš ou L'Avesta ou encore L’Odyssée.

Les différents motifs qui composent la tauroctonie mithraïque coïncident, en effet, avec l'intersection à l'équateur céleste de la constellation du Taureau avec celles du Corbeau, du Scorpius, du Canis Minor et de l'Hydre. Cet alignement planetaire, appelé ère du Taureau[3], s'est produit pour la dernière fois entre 4000 et 2000 avant J.-C. Cette époque est marquée par l'apogée de la civilisation sumérienne, la création des premières cités-États en Mésopotamie et la naissance de l'écriture. Les Sumériens ont été parmi les premiers à étudier les étoiles et à nommer les constellations que, malgré les traductions, nous reconnaissons encore aujourd'hui.

Il s'agit donc d'une période charnière pour l'humanité. L'Ère du Taureau correspond au début de la civilisation telle que nous la considérons aujourd'hui, une période qui commence approximativement en 4000 avant J.-C., l'année que les Francs-Maçons choisirent comme leur Anno Lucis, ou année de la création.

Mithra, le Grand Architecte de l'Univers

L'arrivée de Mithra dans l'Empire romain fait encore l'objet de débats entre spécialistes. Ce dieu archaïque mais civilisateur, protecteur de l'amitié et des accords, apparaît en Europe occidentale sous une forme inédite. Nous ne trouverons pas Mithra représenté de manière aussi explicite, exécutant le taureau sacré ou partageant un repas avec Sol sur la peau du taureau sacrifié, au-delà des frontières de l'Empire.

Cependant, l'origine orientale du culte mithraïque en Occident est attestée à la fois dans la hiérarchie initiatique elle-même — qui comprend un degré dit le Perse —, ainsi que dans le costume même de la divinité, et dans de nombreuses épigraphies et mentions latines, comme la Thébaïde mentionnée plus haut. Malgré les nombreuses preuves qui relient Mithra romain aux dieux orientaux homonymes, certains théoriciens contemporains proposent des solutions créationnistes qui tentent d'éloigner le phenomène occidental de celui des autres régions de la planète.

Quoi qu'il en soit, la fonction de Mithra comme dieu protecteur de la parole donnée, des contrats et de l'amitié perdura dans l'Empire et dans ce qui en restera, comme dans l'ensemble des territoires indo-aryens. Et c'est précisément la valeur de la fraternité entre les hommes, indépendamment de leur origine, de leur condition ou de leur statut — il suffit de rappeler que parmi les initiés, il y avait aussi bien des empereurs que des esclaves — qui a contribué à la naissance, au 14ème siècle, aux premières loges hermétiques écossaises, base de ce que nous connaissons aujourd'hui comme la franc-maçonnerie spéculative[4].

Le temple comme reflet du cosmos

Les convergences entre les Mystères de Mithra et la Franc-maçonnerie ne s'arrêtent pas là. Tout Maître Maçon intéressé par le Mithraïsme ne manquera pas de trouver des points d'union allant du plus abstrait au plus concret. De nombreux aspects d'ordre symbolique, philosophique ou conceptuelle, mais aussi matériel et pragmatique, comme l'espace même dans lequel évoluent les initiés des deux écoles.

Il suffit de visiter un temple de Mithra et un temple maçonnique pour se rendre compte qu'il s'agit d'une seule et même chose. Dans les deux cas, nous nous trouverons immergés dans représentation terrestre du cosmos que les âmes traversent pedant leur processus de réincarnation — ou d'évolution — comme l'explique Porphyre dans L’Antre des Nymphes. Un espace présidé par le Soleil et la Lune, et l'image cultuelle soit la représentation symbolique du Grand Architecte de l'Univers, soit celle de Mithra sacrifiant le Taureau.

Les deux temples ont un plafond voûté bordé d'étoiles. C'est une chambre sans fenêtres, fermé sur l'extérieur ou avec des ouvertures stratégiques qui illuminent l'image sacrée à certaines périodes de l'année. Le temple mithraïque, comme le temple maçonnique, est un lieu intemporel où l'on accomplit des mystères, où l'on initie les membres de la communauté, où l'on délibère sur des questions terrestres et où, finalement, la fraternité entre les frères se forge.

Les deux espaces sont relativement petits car ils sont adaptés à des communautés ne dépassant pas la trentaine de personnes. Les deux espaces sont délimités par les quatre directions d'un plan rectangulaire. De part et d'autre d'un couloir central, au nord et au sud, les maçons sont assis ou les mithraïstes alongés, alignés face à face selon leurs degrés et qualités. A l'est est assis le Père avec ses assistants dans un cas, et le Vénérable Maître et les sourveillants dans l'autre.

Russell mentionne dans On Mithraism and Freemasonry, un article publié dans la revue Heredom, que plusieurs mithraïsmes contiennent une cavité dans le sol où est placé un sarcophage contenant le corps du frère symboliquement décédé. En effet, les initiations maçonniques et mithriaques — comme la plupart des initiations dans n'importe quelle tradition — sont précédées de la mort symbolique du néophyte qui renaîtra en laissant derrière lui sa vie profane. En d'autres termes, dans les deux cas, l'initié sera natus et renatus au sein de la communauté mystique.

In vino veritas

L'un des moments forts du rituel mithraïque est le banquet rituel. Ce sacrement commémore un épisode mythologique que l'on peut voir représenté sur de nombreux reliefs du culte perse, où Mithra et le dieu Sol célèbrent leur rencontre par un repas sur la peau du taureau sacrifié, assistés par Cautès et Cautopatès. Cet événement fait partie du rituel pratiqué par les adeptes du dieu soleil dans les temples mithriaques[5]. Les rôles de Mithra et du Soleil sont assumés par le père de la communauté et l’Héliodrome. Toute la communauté participe à ce banquet, les degrés inférieurs, comme les apprentis maçons, seront chargés d'assister leurs frères.

Mithraic arcosolium of the catacomb of SS. Peter and Marcellinus
Gabriela Ingle


De la même manière, nous, les francs-maçons, terminons nos travaux par un banquet, dans ce cas en dehors du temple, dans une salle annexe ou à l'extérieur. S'il est vrai que dans le rituel mithraïque, les aliments consommés ont une valeur symbolique — au moins le vin et le pain, qui représentent la chair et le sang du Taureau sacré — dans les rituels mithraïques, on mange toutes sortes d'aliments, notamment de la volaille. Outre l'élément rituel, les agapès mithriaques et maçonniques sont donc un moment de détente où la nourriture et le vin favorisent la camaraderie.

Des degrés, des qualités, des gestes et des expériences

Alors que la Franc-maçonnerie contemporaine compte trois principaux degrés initiatiques, les communautés mithriaques en avaient jusqu'à sept, à l'image des sept sphères gouvernées par sept dieux qui guidaient les initiés sur le chemin de la perfection. Ces degrés étaient Corax, le corbeau, Nymphus, la jeune fiancée, Miles, le soldat, Leo, le lion, Persa, le Perse, Heliodromus, le coursier du Soleil, et Pater ou le père de la communauté.

En tout cas, pour être initié à l'une ou l'autre tradition, l'intégrité morale est de rigueur. Il ne faut pas oublier que le mithraïsme romain s'inscrit dans les courants philosophiques de l'époque, à savoir le néo-platonisme et le stoïcisme, auxquels il faut ajouter l'empreinte des traditions orientales, notamment persanes, qui ont amené les premiers adeptes dans l'Empire[6]. De la même manière, les loges maçonniques exigent de leurs candidats qu'ils soient des hommes « de bonnes mœurs » et 'sans tache d'immoralité', quelle que soit ce qu’on entend par ces termes et la façon dont ces valeurs soient mesurées.

Un autre point commun entre les deux confréries est l'importance du geste de la poignée de main. Ceci comptait à tel point qu'un initié aux mystères de Mithra est désigné par le terme grec syndexios, qui signifie quelque chose comme « celui qui a serré la main »[7]. Se serrer la main est, après tout, le geste qui représente le mieux l'entente et la fraternité, comme ce fut le cas à Nemrut Dağı, en Turquie, au 1er siècle avant J.-C., où l'on peut encore voir le roi Antiochus serrer la main de Mithra, dans un relief conservé in situ jusqu'à nos jours. Pour notre part, nous utilisons des variantes de la poignée de main conventionnelle qui nous permettent de nous reconnaître sans avoir à exprimer verbalement notre appartenance.

Antiochus I Theos and Apollo-Mithras-Helios-Hermes from Nemrut Dağı.
Herman Brijder


Les mystères révélés lors d'une initiation ne doivent pas être révélés, notamment parce que nous nous engageons, tant dans la Franc-maçonnerie que dans le Mithraïsme, à ne pas le faire — et rappelons que dans l'Antiquité c'était le dieu Mithra lui-même qui en était garant. Il n'est pas non plus utile d'entrer dans les détails en raison de la nature même de l'acte : le sens de l'initiation ne réside pas dans un ensemble d'actions, de gestes et de mots, mais dans l'expérience elle-même, dans l'effet transformateur que la cérémonie a — ou elle n'a pas — sur le candidat. Il suffit de citer, à titre indicatif, le témoignage de Porphyre dans L'Antre des nymphes, ou celui d'Apulée dans L’Âne d’or, pour se faire une idée de ce que qui peut représenter l'initiation tant mithriaque que maçonnique.

Bien sûr, la Franc-maçonnerie spéculative présente aussi de nombreuses divergences avec le culte solaire perse. Beaucoup d'entre elles ont à voir avec les douze siècles qui nous séparent. La franc-maçonnerie spéculative naît dans un contexte historique et géographique particulier qui imprègne profondément chacun de ses aspects formels, tout en dissimulant ses origines.

Malgré cela, la Franc-maçonnerie reste à ce jour le plus grand représentant d'une tradition fondée sur l'égalité et la fraternité qui lie ses membres dans le temps et l'espace en une chaîne qui s'étend du passé au futur.

References

  1. Israel Campos Méndez (2021) El primer testimonio mitraico. La irrupción del dios Mitra en la historia está directamente relacionadacon la presencia de población indo-aria asentada entre los hurritas de Mitanniy su inclusión en un tratado de paz entre este reino y el imperio hitita amitad del siglo XIV A.N.E. El sentido de su mención y la funcionalidad quedesempeña en el contexto del tratado parecen prefigurar las característicasque están en el origen del papel desempeñado por esta divinidad tanto en el panteón védico, como posteriormente en el iranio-zoroastriano. Mitra apareceen relación con un grupo de divinidades que definen el panteón relevantede la posterior religión védica y su vinculación con Varuna estableciendouna pareja, tendrá también su correlación con Asura en el ámbito iranio.La importancia de este texto ha sido relevante para establecer no solo laruta, sino la primera configuración de estas poblaciones indo-iranias que seestán haciendo presentes en la zona de la Alta Mesopotamia en paralelo asu introducción en el valle del Indo. Nos proponemos con esta investigación profundizar en el análisis de la información que este texto puede ofrecernosen relación con el contexto en el que se pudo gestar la primera aparición pública de Mitra, para tratar de responder más claramente a dos preguntas:quiénes fueron estos primeros individuos que dan protagonismo a esta divinidad y con qué finalidad lo hicieron. El poder conocer las característicasde este primer documento se convierte en un aspecto básico para establecerel punto de partida de cualquier estudio en profundidad del culto mitraico 
  2. The New Mithraeum (2020) The origins of Mithraism, between the East and the West 
  3. David Ulansey (1991) The Origins of the Mithraic Mysteries. Cosmology & Salvation in the Ancient World 
  4. J. R. Russell (1996) On Mithraism and Freemasonry 
  5. M. Clauss (1990) The Roman cult of Mithras 
  6. Robert Turcan (1975) Mithras Platonicus 
  7. Richard Gordon (2016) Den Jungstier auf den goldenen Schultern tragen. Mythos, Ritual und jenseitsvorstellungen im Mithraskult 

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